On le connaît surtout pour sa maîtrise du kabary (un art oratoire typiquement malgache). Mais il fait aussi parler de lui dans le monde de la lecture et plus précisément au sein de Gasy Tia Boky, une communauté de book lovers malgaches. Ankoay serait-il en train de révolutionner le monde de la lecture à Madagascar ? Interview.
Bonjour Ankoay. Pouvez-vous nous parler un peu de vous et de ce que vous faites dans la vie ?
Bonjour, je suis Mikolohasina Ankoay Andrianarisoa et j’ai 24 ans. Je me définis comme un fervent défenseur des valeurs culturelles et traditionnelles malgaches.
J’essaie de transmettre mon message au quotidien à travers ma mentalité, ma façon de parler, de m’habiller. Et je le partage volontiers à mes compatriotes à travers des émissions dans les médias à Madagascar.
J’ai suivi une formation supérieure en sociologie et y ai obtenu mon diplôme de licence, mais en ce moment, je ne travaille pas à proprement parler car je n’aime pas être sous les ordres d’un patron. J’ai donc commencé à travailler à mon compte en créant des accessoires vita malagasy. Je m’occupe uniquement de la conception et je me rapproche d’autres artisans pour la partie réalisation. Sinon j’exerce quelques « métiers » en parallèle : guide touristique, mpikabary (orateur) ou encore animateur d’événements.
Pouvez-vous nous partager votre parcours et vos passions ?
J’ai commencé à maîtriser le kabary dès l’âge de quatre ans alors que personne ne m’a rien appris et que je n’ai jamais suivi de cours. Je me suis aussi intéressé au théâtre (j’ai écrit quelques pièces au collège), puis à la musique traditionnelle malgache.
À 15ans, j’ai commencé à être sollicité lors de mariages de familles pour mon aisance au kabary. C’est à partir de là que j’ai décidé d’approfondir sérieusement ce que je considère comme un don inné hérité de ma famille maternelle.
Mon amour pour ma patrie a toujours pris le dessus dans tout ce que je faisais et c’est ainsi que je me suis mis à faire des recherches sur les secrets de Madagascar : des secrets liés à la croyance, à l’histoire, à la société. Par le passé, j’ai pu animer et participer à des émissions radio et télé sur ce sujet.
Mais dans ma vie, la lecture reste mon plus grand dada.
Parlez-nous de votre amour pour la lecture
Comme j’aime le dire, pour moi, le livre c’est ma première femme. Quand viendra le jour où je devrais fonder une famille, je voudrais que mon épouse soit une amoureuse de lecture, comme moi.
Où que j’aille, j’apporte toujours un livre avec moi et je m’adonne à cette passion chaque fois que mon temps me le permet. Ça peut vous paraître dingue, mais quand je vais au petit coin le matin par exemple, je ne peux m’empêcher d’ouvrir un petit livre vite fait (rires).
Je lis surtout des romans historiques, policiers, des thrillers, des récits en rapport avec les esprits, des livres qui incitent à la réflexion. Par contre je ne suis pas vraiment attiré par les livres qui parlent d’histoires d’amour.
Vous avez récemment lancé un jeu de piste appelé GTB Tour (Gasy Tia Boky Tour) qui devient très populaire sur Facebook. Pouvez-vous en dire plus ?
Gasy Tia Boky est un groupe Facebook qui regroupe les bibliophiles malgaches. J’ai lancé GTB Tour mi-novembre. En gros, c’est un jeu de piste où je me cache dans un lieu donné, je donne des indices aux participants pour me trouver, et à la fin je partage des livres gratuitement aux gagnants.
L’objectif du jeu est entre autres de satisfaire les amoureux de lecture qui sont nombreux à Madagascar, mais qui n’ont pas toujours les moyens de s’offrir les livres de leurs choix. Pour le moment, avec un ami photographe, nous faisons uniquement le tour des quartiers d’Antananarivo, mais espérons élargir le concept vers d’autres villes comme Antsirabe ou Tamatave. (Ndla : Ankoay a pu lancer le jeu à Antsirabe début décembre 2018)
Comment choisissez-vous vos itinéraires ?
En tant que défenseur du « fomban-drazana malagasy » (valeurs ancestrales malgaches), j’ai envie de faire passer ce courant aux membres de la communauté Gasy Tia Boky. L’objectif n’est pas seulement de courir chercher Ankoay partout à Antananarivo, mais de se cultiver aussi.
Le jeu revêt alors un aspect de divertissement et d’apprentissage, car nous essayons de faire visiter les lieux emblématiques à Antananarivo. D’ailleurs, c’est pour cela que nous avons commencé le GTB Tour au Rova de Manjakamiadana, qui, nous le savons, est un lieu empreint d’histoire. Chaque séance de remise de livre est suivie d’une petite leçon d’histoire et de partage. Et ça plaît aux participants !
Mais dans la pratique, je ne réfléchis pas toujours : j’arrive dans un quartier quelconque, je me dis « tiens, je peux me planquer ici », et voilà, on commence le jeu :D.
Vous dites que vous partagez gratuitement des livres aux gagnants. Qu’est-ce qui vous motive ?
Je tiens à préciser que le jeu n’est pas sponsorisé, je n’ai pas été payé pour faire ça. Ce n’est pas pour la frime et je ne suis pas riche non plus. Alors qu’est-ce qui me motive ? Et bien c’est tout simplement l’amour du partage.
Mon but est de conscientiser les jeunes qui se ruent aveuglément vers la technologie, la mode, et vers un semblant de « développement ». J’ai envie de perpétuer la mentalité malgache qui prône la solidarité. Il s’agit aussi de promouvoir la passion pour la lecture et de prouver aux gens que les livres peuvent éduquer. La tâche est loin d’être facile et je reçois souvent des critiques, mais ça ne m’arrête pas.
Nous sommes un peu curieux : quels sont vos secrets ? 🙂
C’est dans le groupe que je constate les auteurs qui plaisent le plus aux lecteurs et ça tourne principalement autour de Laurent Gounelle, Paolo Coelho, Marc Levy, Guillaume Musso, etc. Ça revient un peu à l’expression « que demande le peuple ? ». Et si on veut toucher le peuple, il faut que ce soit à travers ce qu’il aime. Je ne fais qu’appliquer ce principe.
On imagine que vous avez une immense caverne où vous stockez tous vos livres. À quoi ressemble votre chez-vous ?
Je conserve tous mes bouquins dans ma chambre. Vous n’allez peut-être pas me croire, mais ils sont des milliers rangés sur des étagères et qui tapissent les quatre murs. Ce sont principalement des livres que je garde depuis mon enfance.
Mon lit n’occupe qu’une place minime au milieu de la pièce. Pour les amis qui sont déjà venus chez moi, ils la comparent à la caverne d’Ali Baba (rires).
Combien de livres possédez-vous et combien en avez-vous distribués jusqu’ici ?
Rien que dans ma chambre, j’ai environ 3 000 livres que je garde pour moi. Pour les livres que j’ai déjà partagés, je ne me souviens pas précisément du nombre, mais j’estime leur montant à un million d’ariary.
Pour la petite histoire, j’ai récemment été à Stockholm et j’ai visité une immense librairie. Comme le prix « à la source » est nettement inférieur au prix pratiqué à Madagascar, l’idée m’est venue de partager des ouvrages une fois rentré au pays. J’en ai apporté une sacrée quantité, certains pour des lecteurs qui m’ont « commissionné ».
Les livres que je partage gratuitement pour le jeu sont donc des livres neufs que je rapporte de mes voyages à l’étranger.
Comment voyez-vous le rapport des Malgaches avec la lecture ?
Il y a eu un moment où j’ai vraiment désespéré. Moi quand je vais aux marchés de livres d’Ambohijatovo, je rentre avec un gros carton rempli de livres. J’entre dans une librairie et je ressors avec deux ou trois cartons. Et les gens se demandent ce que je peux bien faire de tout ça. Ils ne comprennent pas. Inversement, moi aussi je ne les comprends pas. Je me suis rendu à l’évidence : ce n’est pas tout le monde qui aime la lecture.
Mais découvrir Gasy Tia Boky m’a redonné espoir. La communauté compte actuellement plus de 20 000 membres et ce qui est génial, c’est qu’ils viennent des quatre coins de l’île. Et là je me dis : la passion pour la lecture est finalement bien vivante à Madagascar.
Que projetez-vous de faire dans l’avenir ?
Pour mes projets personnels, j’envisage de créer ma propre station radio et télé. Pour Gasy Tia Boky, étant parmi les administrateurs du groupe, je ne compte pas m’arrêter au jeu de piste. J’ai envie que la communauté aille loin et élargisse ses activités en montrant que la lecture peut forger une mentalité exemplaire.
Nous ne nous limiterons pas à la lecture et au partage de livres, mais projetons de faire des actions sociales comme l’aide aux plus démunis et laissés-pour-compte, le reboisement, l’offre de formations gratuites, la sensibilisation.
Un petit mot pour la fin ?
J’ai un message pour mes compatriotes, amoureux de lecture ou pas : nous sommes Malgaches, nous sommes nés Malgaches, nous vivons Malgaches et nous mourrons Malgaches. Madagascar est notre patrie et nous ne pouvons que l’aimer. Peu importe les vents de développement qui nous bourrent le crâne, rappelons-nous toujours qui nous sommes.
Découvrez également un portrait de Natoa Rasolonjatovo, le virtuose du pinceau malgache